• Que j'aime voir, chère indolente,

    De ton corps si beau,

    Comme une étoffe vacillante,

    Miroiter la peau !

     

    Sur ta chevelure profonde

    Aux âcres parfums,

    Mer odorante et vagabonde

    Aux flots bleus et bruns,

     

    Comme un navire qui s'éveille

    Au vent du matin,

    Mon âme rêveuse appareille

    Pour un ciel lointain.

     

    Tes yeux où rien ne se révèle

    De doux ni d'amer,

    Sont deux bijoux froids où se mêle

    L'or avec le fer.

     

    A te voir marcher en cadence,

    Belle d'abandon,

    On dirait un serpent qui danse

    Au bout d'un bâton.

     

    Sous le fardeau de ta paresse

    Ta tête d'enfant

    Se balance avec la mollesse

    D'un jeune éléphant,

     

    Et ton corps se penche et s'allonge

    Comme un fin vaisseau

    Qui roule bord sur bord et plonge

    Ses vergues dans l'eau.

     

    Comme un flot grossi par la fonte

    Des glaciers grondants,

    Quand l'eau de ta bouche remonte

    Au bord de tes dents,

     

    Je crois boire un vin de Bohême,

    Amer et vainqueur,

    Un ciel liquide qui parsème

    D'étoiles mon coeur !


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  • Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d'automne,

    Je respire l'odeur de ton sein chaleureux,

    Je vois se dérouler des rivages heureux

    Qu'éblouissent les feux d'un soleil monotone;

     

    Une île paresseuse où la nature donne

    Des arbres singuliers et des fruits savoureux;

    Des hommes dont le corps est mince et vigoureux,

    Et des femmes dont l'oeil par sa franchise étonne.

     

    Guidé par ton odeur vers de charmants climats,

    Je vois un port rempli de voiles et de mâts

    Encor tout fatigués par la vague marine,

     

    Pendant que le parfum des verts tamariniers,

    Qui circule dans l'air et m'enfle la narine,

    Se mêle dans mon âme au chant des mariniers.


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  • Les chats.

     

     

    Les amoureux fervents et les savants austères

    Aiment également, dans leur mûre saison,

    Les chats puissants et doux, orgueil de la maison,

    Qui comme eux sont frileux et comme eux sédentaires.

     

    Amis de la science et de la volupté

    Ils cherchent le silence et l'horreur des ténèbres;

    L'Erèbe*les eut pris pour ses coursiers funèbres,

    S'ils pouvaient au servage incliner leur fierté.

     

    Ils prennent en songeant les nobles attitudes

    Des grands sphinx allongés eu fond des solitudes,

    Qui semblent s'endormir dans un rêve sans fin;

     

    Leurs reins féconds sont pleins d'étincelles magiques,

    Et des parcelles d'or, ainsi qu'un sable fin,

    Etoilent vaguement leurs prunelles mystiques.

     

    *Personnification mythologique des ténèbres.


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  • Le Chat

    II

     

    De sa fourrure blonde et brune

    Sort un parfum si doux, qu'un soir

    J'en fus embaumé, pour l'avoir

    Caressée une fois, rien qu'une.

     

    C'est l'esprit familier du lieu;

    Il juge, il préside, il inspire

    Toutes choses dans son empire;

    Peut-être est-il fée, est-il dieu ?

     

    Quand mes yeux, vers ce chat que j'aime

    Tirés comme par aimant,

    Se retournent docilement

    Et que je regarde en moi-même,

     

    Je vois avec étonnement

    Le feu de ses prunelles pâles,

    Clairs fanaux, vivantes opales,

    Qui me contemplent fixement.


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  • Le chat

    I

     

    Dans ma cervelle se promène,

    Ainsi qu'en son appartement,

    Un beau chat, fort, doux et charmant.

    Quand il miaule, on l'entend à peine,

     

    Tant son timbre est tendre et discret;

    Mais que sa voix s'apaise ou gronde,

    Elle est toujours riche et profonde.

    C'est là son charme et son secret.

     

    Cette voix qui perle et qui filtre

    Dans mon fond le plus ténébreux,

    Me remplit comme un vers nombreux

    Et me réjouit comme un philtre.

     

    Elle endort les plus cruels maux

    Et contient toutes les extases;

    Pour dire les plus longues phrases,

    Elle n'a pas besoin de mots.

     

    Non, il n'est pas d'archet qui morde

    Sur mon coeur, parfait instrument,

    Et fasse plus royalement

    Chanter sa plus vibrante corde,

     

    Que ta voix, chat mystérieux,

    Chat séraphique, chat étrange,

    En qui tout est, comme en un ange,

    Aussi subtil qu'harmonieux !

     

     


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